En souvenir de Patrick Reumaux, disparu l’an passé, et comme en écho au texte de John James Audubon publié ici auparavant, cet extrait de L’Artiste en petites choses :
« J’avais décidé de faire collection d’oiseaux. Pas de les enfermer dans une volière mais, dans l’enceinte du domaine, de tuer un représentant de chaque espèce, de le faire empailler et de l’écouter chanter le soir, dans ma chambre sous les toits. Delessert, le nom me revient, armurier à Coulommiers, était en cheville avec un taxidermiste qui a eu entre les mains putois, belette, hermine, rat noir, et les oiseaux, tous les oiseaux, la buse […], la huppe que je n’ai pas tuée moi-même – je n’étais pas là pour la huppe –, le pinson des arbres, les trois mésanges, le geai, le bruant jaune, la linotte, le chardonneret, le pic-vert… je pourrais continuer – énumérer ses crimes n’a jamais tué personne – mais je vais m’arrêter là pour te parler des loriots.
À cette époque-là, j’écrivais des poèmes de trois sous sur les oiseaux, sur les animaux que je piégeais ou que je rencontrais dans les bois. Les loriots étaient pour moi une énigme. Je les entendais siffler partout – didelio didelio didlia-didlio –, s’appeler – ouin-in ouin-in – ou jeter un cri d’alarme – kiekiekiek – dès que j’étais repéré, mais je n’arrivais pas à en voir un seul, même le mâle, l’oiseau d’or aux ailes et à la queue noire. Telle était l’énigme : Toujours plus haut dans la feuillée, le loriot chante des chansons secrètes : il est jaune, l’arbre est vert, on ne le voit pas.
La panthère1 disait qu’elle avait vu des saumons sauter dans le ru, mais elle avait un don de double vue, comme dans le roman de Mervyn Peake, les jumelles idiotes, Cora et Clarisse, qui suivaient des yeux un requin dans le lac de Gormenghast. Le ru devient parfois furieux en hiver, déborde dans les pâtures, menace de pourrir les rondins de bois qui servent de pont, mais c’est de la frime. Il se calme vite, en juin lézarde au pied du grand hêtre où sifflent les loriots.
— Alors, tu les as vus ?
— Non. J’ai vu, l’espace de quelques secondes, une pièce d’or briller à la cime du hêtre et j’ai tiré.
Un oiseau est tombé, dégringolant de branche en branche, mais comme au ralenti, dans un temps hors du temps – je l’ai déjà dit cent fois, et même écrit – mais je n’y peux rien, il dégringole toujours, je le vois dans ma chambre, la nuit, quand tous les oiseaux chantent.
L’eau était limpide sur les pierres. On aurait dit du cristal. Mais l’oiseau ne la voyait plus, je ne sais pas pourquoi. Si, je le sais, il était mort. Alors je l’ai emporté – et pas que lui –, j’ai emporté l’eau claire et le hêtre et cette matinée qui n’en finissait pas de durer dans l’après-midi, et même tout le mois de juin qui serait le dernier, la maison me le chuchotait l’oiseau mort est mort tu n’iras plus au bois […] et les roses se fanaient sur la façade, et les douves et le grand pré où les foins venaient d’être coupés, plus au bois plus au bois c’est fini c’est fini, ils sont tous là, j’écoute chanter leurs yeux de verre dans le Nocturne en mi mineur, mais je ne les vois pas à chaque fois – sauf le renard qui file comme un rêve à l’orée du bois sans toucher l’herbe des notes et disparaît dans la nuit à l’angle de la tour où la lune noire de juin se reflète dans les douves. »
Patrick Reumaux, Les oiseaux morts et la nuit de juin, dans L’Artiste en petites choses, collection De Natura Rerum, Klincksieck, 2020.
- C’est ainsi que Patrick Reumaux nomme, le plus souvent, sa grand-mère. ↩︎