(D’un film en sommeil, pour le moment. Ces mains ont cueilli des mûres.)
Archives mensuelles : mars 2018
John Berger, chanson
Un chanteur peut être innocent
jamais la chanson. Avec ses yeux
grands ouverts sur le monde
et son cœur mis à nu,
la chanson est impudente
la chanson est nouveau-née.
Une fois apaisée seulement
elle laisse les auditeurs recouvrer par habitude
l’innocence de leur âge.
Lorsque chante un grand chanteur, la peau du temps et de l’espace se tendent, les voix des nourrissons remplissent le monde, il ne reste plus un coin de silence ou d’innocence, le manteau de la vie est retourné à l’envers, le chanteur devient ciel et terre, le temps passé et le temps à venir entonnent l’une des chansons qui n’appartiennent qu’à une seule vie.
[…]
UNE CHANSON D’AMOUR
Les montagnes sont sans pitié
la pluie fait fondre la neige
il gèlera à nouveau.
Au café deux étrangers
jouent de l’accordéon
et une pleine salle d’homme chante.
Les mélodies remplissent
les sacs des cœurs
les trous des yeux.
Les paroles remplissent
les étables
qui beuglent encore entre les oreilles.
La musique rase les mâchoires
détend les jointures
seul remède contre les rhumatismes.
La musique cure les ongles
adoucit les mains
décape les cors.
Une pleine salle d’hommes
juste arrivés de leur bétail trempé
de leur huile diesel, de l’éternelle pelle.
Caressent maintenant
une chanson d’amour
leurs mains amadouées.
Les miennes ont quitté mes poignets
et traversent les montagnes
à la recherche de tes seins.
Au café deux étrangers
jouent de l’accordéon
la pluie fait fondre la neige.