des plus effrayées encore sont les pierres grises

« Quoi qu’il en soit, pour massaro Filippo, mort à quatre-vingt-cinq ans, en octobre 1940 […], notre monde étant fait, dans sa partie interne, d’une substance visqueuse, dans laquelle peuvent mûrir les œufs de l’oiseau griffon dénichable dans des jardins très frais mais abandonnés, de cette même substance en ébullition jaillissent, en sus, des lapilli, des petites pierres vertes appelées gneiss, ou des quartz, mêlés à des lapis-lazuli ; et des poussières aurifères qui, si on les cherche bien dans le magma refroidi, pourraient faire la fortune d’une pauvre. Puisqu’à chaque tremblement de terre se déchaînent des énergies enchevêtrées (dont on peut jouir et se délecter à l’aide d’instruments idoines), calculables en vitesses torses des projections vers l’extérieur, les poissons cyprinidés ont peur, que l’ami Peppino Amoroso pourra voir l’automne dans les torrents siciliens ; les lézards verts ont peur ; ont peur les milans rapaces ou les percnoptères des Madonies ; l’enfant à naître Giuseppe B. (qui a toujours eu des affections profondes, jamais harmonieuses) dans l’aube du mois de juillet ; les oliviers bruissants que massaro Filippo entendait crier. Mais pour le précité paysan, des plus effrayées encore sont les pierres grises, par nature renfermées et timides, lesquelles, lors de semblables séismes, se retirant, laissent s’échapper les lumières stellaires dont elles se nourrissent. C’est ainsi que s’avère le seul moment au cours duquel peuvent se comprendre les hommes, les animaux, les oiseaux, les poissons, les insectes, les pierres, toujours fermés les uns aux autres à cause du langage différent dont ils font usage. »

Giuseppe Bonaviri, « Les tremblements de terre », dans Les Commencements, trad. Philippe Di Meo, éditions La Barque.